On entend de plus en plus parler de clusters en Algérie et ailleurs, mais de quels clusters parlons-nous  au juste? Et quels clusters seraient appropriés pour la diversification de notre économie ?

Dans cette contribution, nous présentons les expériences internationales de Clusters et proposons un certain nombre de leçons de ces expériences qui pourraient orienter nos politiques publiques de diversification de l’économie.

 Le cluster : un concept « ancien » et pourtant méconnu

Le concept de clusters le plus connu est « un groupement d’entreprises et d’institutions rassemblées par la proximité géographique et la synergie professionnelle ». Le cluster reflète l’importance fondamentale de liens et synergies pour la productivité et l’innovation entre les entreprises et les institutions liées.

Un cluster comprend de manière générale :

  • Des industrie(s) de produits finis ;
  • Des entreprises de la chaîne de valeur (ex: des fournisseurs spécialisés) ;
  • Des prestataires de services spécialisés ;
  • Des entreprises et champions locaux et multinationaux ;
  • Certaines industries connexes : ayant un nombre important d’activités, de compétences, de technologies partagées, et des chaines communes ou des clients communs ;
  • Des institutions de soutien : finances, formation,recherche etc.

Un cluster peut être organisé (sous format d’associations par exemple, comme c’est le cas en Italie, pays phare des clusters endogènes avec préservation du savoir-faire local mais également de districts industriels) ou sans organisation particulière.

Mais il reste un groupement d’entreprises existantes. Alors qu’il est difficile de « créer » un cluster ex-nihilo à travers des politiques publiques, il est recommandé d’accélérer la croissance et renforcer un cluster existant à travers ces politiques publiques.

Cela dit, il est tout à fait possible de lancer des clusters tirés par les nouvelles technologies dans le cadre de politiques publiques volontaristes pour peu qu’on favorise :

  • L’environnement des affaires (mise en place des solutions de financement efficaces, amélioration de l’accès aux marchés publics…);
  • Les infrastructures (IT, immobilière et réseaux de transport afin de créer des lieux d’émulation et d’innovationaccessibles à tous);
  • Les ressources humaines qualifiées.

 Quelques expériences de clusters dans le monde

Nous avons encore peu de recul et d’évaluations réalisées pour s’assurer de la pérennité des clusters de manière générale, surtout lorsqu’il s’agit d’initiatives sans champions locaux (nationaux ou étrangers). Mais on constate néanmoins que cela permet d’initier une dynamique et de concrétiser la volonté des politiques publiques de favoriser la diversification dans un ou plusieurs secteurs.

Les clusters sont divisés en groupes selon leur constitution :

  • Les technopark, cyberparcs et parcs qui fonctionnent comme des locaux loués à des start-up ou des entreprises récemment implantées localement (l’exemple du technopark de Casablanca) avec toute l’infrastructure nécessaire pour le fonctionnement autonome de l’écosystème ;
  • Les technopoles qui comportent en leur sein différents acteurs au-delà des entreprises, telles que les universités/instituts de formation voire des centres de recherche mais qui ne drainent pas forcément les entreprises privées, (certaines technopoles tunisiennes construites sur base de centres de recherches ou instituts de formation existants à titre d’exemple) ;
  • Les zones franches qui sont des clusters géographiquement localisés avec un soutien de l’Etat mais qui créent souvent une dualité onshore/offshore et ne permettent pas le transfert de savoir-faire avec les entreprises locales désirant monter en valeur ajoutée. Ils ne permettent pas non plus aux entreprises internationales d’utiliser le marché local comme marché test pour le développement de nouveaux produits innovants à titre d’exemple ;
  • Les clusters sous forme d’associations multi-acteurs qui comportent en leur sein des entreprises privées existantes, ayant des liens et synergies pour leur productivité et des représentants de producteurs ou agriculteurs comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Italie (Cluster CaliforniaAlmonds, ou OI Pomodorodel Nord à titre d’exemple). Certaines associations de clusters endogènes regroupent également des centres de recherche ou laboratoires d’universités, spécialement lorsqu’il s’agit d’industries à forte valeur ajoutée. La localisation géographique n’est pas essentielle dans ce cas, une grappe d’entreprises localisées au Nord peuvent bien transformer la production d’agriculteurs du sud et travailler en étroite collaboration avec des centres de recherche au centre du pays.

Certains pays ont relevé le défi et réussi à combiner des politiques publiques bien pensées avec une stratégie de « clusteriser » certains maillons existants (l’aéronautique est un exemple concret combinant des maillons de production et de conception) et avec des politiques favorisant l’émergence de nouveaux clusters tirés par les TIC.

2 exemples pour illustrer cela :

Singapour avec son EDB (Economic Development Board)a permis non seulement d’encourager localement l’émergence d’entreprises mais également d’attirer des investissements.

  • L’EDB est un programme de politique publique ambitieux avec participation active du secteur privé. Il dispose de moyens, de compétences et de liberté d’actions lui permettant d’agir dans le cadre d’une stratégie établie et convenue.
  • L’EDB a attiré entre 2005 et 2014 des Dépenses Totales en Investissements étrangers de 65,6 Milliards de $ (et pas seulement des promesses d’investissement !).

 

La Nouvelle Zélande, à travers son « NZTE » (New Zealand Trade and Enterprise) a réussi le pari grâce à des politiques bien conçues et une veille stratégique efficace et qui permet d’identifier les tendances économiques à un stade précoce afin de sensibiliser les entreprises aux nouvelles opportunités et aux modèles commerciaux, de manière à fournir des informations cruciales à ses « clusters » endogènes.

De nombreux autres exemples pourraient être présentés tant parmi les pays d’Europe du Nord qu’en Europe du Sud (Italie, France, Espagne). Mais ces clusters sont de natures différentes (avec des grappes d’entreprises sans association de management ou associations efficaces comme en Italie par exemple). Il n’y a cependant peu de littérature sur le « comment », étant donné que cela est survenu souvent dans des contextes de post-guerre et/ou crise économique. Ce concept de clusters est encouragé au sein de l’Union Européenne à travers des programmes de soutien mais ce concept renvoie essentiellement à « la mise en réseau » des acteurs.

Quelles leçons pour la conception des politiques publiques en faveur des clusters ?

Un cluster n’est pas forcément basé sur une seule chaine de valeur (pour exemple, l’aéronautique qui est à l’intersection entre plusieurs chaines de valeur). En effet les chaines de valeur sont désormais internationales et un pays n’est pas forcé de maîtriser tous les maillons de la chaine de valeur mais doit être intégré dans la chaine globale.

L’idéal étant de se positionner sur quelques maillons en « haut de chaine » là où il y a le plus de valeur ajoutée, soit « dans la« conception/Design et R&D » soit au niveau des services, marketing et commercialisation. Et cela afin de ne pas se limiter à la production ou à l’assemblage simple en flux-tendus.

Les éléments à prendre en compte par les décideurs publics :

  • Implication du secteur privé. L’impliquer de manière régulière et très tôt dans le processus et ce quel que soit la taille de l’entreprise afin de tenir compte de l’avis de tous les acteurs lors de la conception des politiques publiques (les PME ne devant pas être les seuls acteurs des clusters car il s’agit également d’encourager l’émergence de micro et petites entreprises pour peu qu’elles soient pérennes et spécialisées) ;
  • Conception d’objectifs de long, moyen et court terme. La nature complexe et l’évolution lente de certains clusters, tend à essouffler les décideurs qui peuvent ne pas voir les résultats et l’impact rapide. Il est cependant important de considérer tant les « gains rapides », que ceux de plus long terme. L’impact de certains clusters peut être de long terme mais contribuer significativement à la transformation structurelle de l’économie ;
  • Attention particulière à l’ingénierie juridique et à la flexibilité des programmes (sectoriels et intersectoriels). L’expérience internationale nous a montré que les programmes qui ont été conçus de manière très sectorielle (afin de faciliter le financement en amont) ont été très difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la réalité du terrain, où la collaboration est davantage intersectorielle étant donné la nature des interactions et des liens commerciaux. Les structures de management flexibles ont également démontré plus d’efficacité sur le terrain ;
  • Préférence pour les schémas de soutien « sur mesure » par rapport à ceux « standardisés ». Les décideurs qui conçoivent les politiques et programmes doivent garder à l’esprit que chaque écosystème est unique grâce à ses acteurs, son climat des affaires et ses objectifs. Et qu’aucun modèle de cluster « clé en main » ne peut être reproduit sans adaptation à la réalité locale. Les schémas de soutien sur mesure, conçus sur base de concertations multi-acteurs, sont plus faciles à mettre en œuvre que ceux standardisés, et ont plus d’impact ;
  • Encouragement des acteurs locaux sans conception de programmes « locaux ». Il est essentiel d’encourager les acteurs locaux et de stimuler certaines régions défavorisées. Pour autant, cela ne devra pas passer par la conception de programmes locaux « figés » qui ne permettent pas de collaboration entre les régions et empêchent la mobilité des facteurs de production. Des programmes nationaux de clusters peuvent tout à fait être couplés à des mécanismes de financement ciblés (fiscalité, primes de l’innovation…) pour des impacts orientés sans empêcher les interactions endogènes (entreprises locales et entreprises étrangères par exemple. Voir le paragraphe sur la dualité onshore/offshore plus haut) ;
  • Implication des compétences et appui aux formations dispensées localement. Il est souhaitable de s’appuyer sur les compétences et les formations proposées localement pour permettre aux clusters de recruter localement des ressources humaines qualifiées notamment dans le middle-management qui peut faire défaut. En effet, l’Algérie dispose de plusieurs atouts et des formations de haut niveau pourront être développées selon les besoins.

L.B

Nota Bene : Nabni publiera prochainement un zoom sur un cluster bien précis pour illustrer la vision combinée de clusters « endogènes » et ceux « locomotives basés sur les TIC.