Chantier #1 : Halte à l’opacité et à la prédation !

الورشة رقم 1 - إيقاف الضبابية والنهب

Appel pour des mesures immédiates de transparence des comptes publics et d’accès continu des citoyens à l’information financière publique


Cette contribution de NABNI s’inscrit dans le cadre du cycle de propositions « Les chantiers de la refondation » qui portent sur la construction d’un socle de fondamentaux garantissant les libertés démocratiques et donnant des pouvoirs réels entre les mains des citoyens pour qu’ils aient dorénavant les moyens de protéger leur souveraineté. Nous traitons dans le présent texte de la transparence financière, dans le cadre du thème Transparence de l’Etat, du droit de regard citoyen et de son accès à l’information

En plus des revendications politiques sur lesquelles la société civile doit peser de tout son poids pour que réussisse la transition démocratique, NABNI se doit d’alerter l’opinion publique sur le risque de faillite vers lequel le pays se dirige à grands pas. Depuis 2012, le Collectif n’a cessé de lancer des alertes, en vain, sur la catastrophe à venir en utilisant la métaphore du Titanic.

Malheureusement, les gouvernements successifs n’ont rien voulu entendre. Pire, depuis la chute du prix du baril de l’été 2014, les autorités ont choisi de ne mener aucune réforme et de financer les déficits abyssaux en empruntant sans limite à la Banque d’Algérie. Prétextant, à tort, que des pays riches l’auraient fait après la crise de 2009, le gouvernement a entamé un processus dangereux d’endettement par la planche à billets, sans aucun contrôle. Cette politique, dans un contexte où le gouvernement ne fait face à aucun contrepouvoir de surveillance et de contrôle, et où il agit dans l’opacité totale en empruntant à une Banque centrale à l’indépendance confisquée, fut sans aucun doute la décision la plus irresponsable de la décennie.

Nous y sommes : iceberg droit devant ! La survie économique de l’Algérie se joue aujourd’hui.

Les données publiées par la Banque d’Algérie en décembre 2018 donnent la mesure du drame économique qui se joue sous nos yeux. Ces chiffres, analysés récemment par des experts nationaux, montrent l’ampleur des dégâts résultant d’une « navigation à vue » dans la gestion de notre économie, sans aucun cap stratégique. La gestion opaque des finances publiques et le recours à l’endettement public « en roue libre » sans aucune mesure pour rendre soutenable notre trajectoire budgétaire, nous mènent à une situation très dangereuse.

Afin de rembourser des dettes et combler les déficits, y compris les subventions antérieures à 2014 et non inscrites au budget de l’Etat, le gouvernement s’est endetté auprès de la banque centrale en imprimant de la monnaie à hauteur de près de 35% du PIB en moins de deux ans (Soit l’équivalent de 55 milliards de dollars): une proportion hors norme, et digne d’un pays en quasi faillite. Cet afflux de monnaie va mécaniquement faire perdre de la valeur au dinar dont le différentiel entre le taux officiel et parallèle ne cesse de stimuler les importations et de provoquer des fraudes en tout genre… menant inexorablement à la fonte des réserves de change.

Outre la dette publique abyssale contractée auprès de Sonatrach et Sonelgaz, les déficits chroniques des entreprises publiques, la fragilité financière et l’opacité des comptes des banques publiques sont autant de bombes à retardement qui menacent la solvabilité de l’Etat à court ou moyen-terme.

NABNI se doit d’alerter une fois de plus l’opinion publique sur les conséquences de cette situation :

  • Le pouvoir d’achat des citoyens, notamment les plus nécessiteux, risque de de s’éroder significativement en l‘absence d’actions urgentes pour y faire face.
  • Le rythme insensé d’impression monétaire est un legs empoisonné qui forcera inévitablement le prochain gouvernement démocratiquement élu à dévaluer le dinar !
  • Sans correction immédiate le recours au FMI s’imposera inévitablement aux gouvernements futurs qui hériteront d’une décennie d’indécision et de fuite en avant.
  • Il nous faut nous préparer à retrousser nos manches, relancer l’économie sur de nouvelles bases et accepter le prix à payer et les efforts à faire à court terme, avant que la situation ne s’améliore.
  • Une faillite économique aurait des conséquences désastreuses sur le cours de la transition démocratique. Dans ce contexte, penser la transition politique ne peut pas se faire indépendamment de la situation économique inquiétante qui nous menace.

L’heure est grave et en l’absence de garde-fous, de transparence et de contre-pouvoirs efficaces, la menace d’une recrudescence des actes de prédations est réelle, particulièrement dans le contexte actuel de changement attendu du personnel politique et de remise en cause de relations rentières dont bénéficient certains acteurs privés avec l’Etat.

Cette alerte lancée, il est aussi important de souligner que la perspective d’une transition démocratique réussie, de la mise en place d’un Etat de droits et d’une gouvernance améliorée, augure d’un potentiel économique énorme qui serait libéré. Ce potentiel pourra enfin s’exprimer quand les contraintes de gouvernance, de monopoles et de prédation de l’économie rentière seront levées.

Appel pour des mesures immédiates de transparence des comptes publics et d’accès continu des citoyens à l’information financière publique.

Au vu de la situation, NABNI encourage la société civile à exiger expressément des comptes et de la transparence aux pouvoirs publics. Nous appelons en particulier à :

  1. La transparence immédiate et continue sur les opérations du Trésor, sur les réserves de change, opérations d’importation et les comptes et déficits publics :
  • Publication d’un état hebdomadaire des réserves de changes et des engagements de la Banque d’Algérie en matière d’importations à un an et autres transferts en suspens, à cinq ans.
  • Publication d’un état hebdomadaire des opérations d’importation couvertes par la Banque d’Algérie avec les montants et les biens et services concernés.
  • Publication d’un état de toute opération de financement non-conventionnel planifiée par le Trésor ou effectuée par la Banque d’Algérie.
  • Publication d’un état actualisé et consolidé des comptes de tous les déficits des entreprises publiques et autres établissements publics, depuis cinq ans.
  • Publication trimestrielle de l’état actualisé et consolidé des comptes des caisses de sécurité sociale, des retraites et du chômage.
  • Publication de l’état détaillé des crédits contractés auprès des banques publiques et bénéficiant de la garantie de l’Etat, dont le montant excède 500 millions de dinars.
  • Publication des comptes trimestriels du Fonds National d’Investissement et de toutes ses opérations d’investissement, ainsi que le détail du portefeuille d’actifs.
  • Publication des états financiers des contrats publics supérieurs à un milliard de DA, attribués par l’Etat au cours des dix dernières années, pour évaluer la dette fiscale implicite.

Nous soulignons que la publication de telles données ne saurait se faire opposer un quelconque motif de ‘confidentialité’ – tant sur leur fréquence que leur contenu. Ce type de données font déjà l’objet de publications régulières dans de nombreux pays à travers le monde et participent à la transparence et la bonne gouvernance de la vie économique d’un pays. Hormis les opérations de commerce extérieur et les opérations de financement public relatifs aux projets classifiés secret défense, l’exigence de transparence immédiate dans les domaines cités est impérative pour assurer un contrôle citoyen par l’expertise nationale indépendante, sur des opérations qui engagent la stabilité économique du pays.

Enfin, l’exigence de transparence des comptes publics devra aussi concerner le secteur privé : transparence sur les comptes des entreprises ; transparence sur les subventions et aides qu’elles reçoivent de l’Etat ; transparence sur leurs transactions avec l’Etat.

2- Mise en place immédiate d’une instance citoyenne de surveillance des comptes publiques

La mise en place d’un Conseil de surveillance fiscale(1) indépendant, formé d’économistes et d’experts financiers, issus de la société civile et qui aura pour mission d’examiner les comptes publics, contrôler les dépenses et publier des états réguliers et approfondis des comptes publics.

Ce Conseil pourrait être logé au niveau de la Banque d’Algérie. Il aurait accès libre aux données de comptabilité publique. Il publierait les résultats de ses investigations régulièrement pour alerter l’opinion publique sur la réalité de notre situation financière. Cette instance pourra être institutionnalisée, une fois la transition achevée.

(1) :  Un conseil de surveillance fiscale est différent d’une cour des comptes en ce sens qu’il opère en temps réel à chaque préparation de Loi de finance, et a pour rôle de contrôler les dépenses et d’évaluer leurs conséquences sur l’économie. La cour des comptes réalise des audits à posteriori. Il existe une quarantaine de conseils fiscaux nationaux, majoritairement en Europe mais aussi aux Etats unis, Canada, Chili et en Afrique du Sud.