Vision et leviers de rupture

En 50 ans, notre pays a réalisé des progrès considérables en matière de santé, et depuis le début des années 2000, l’accroissement des revenus tirés des hydrocarbures a permis de consacrer une plus grande part du budget de l’Etat à la santé. Cependant, des progrès importants qualitatifs restent à réaliser.

Dans les années à venir, le défi majeur que doit relever notre système de santé est d’offrir à tous les Algériens un système de soins efficace à un coût maîtrisé.

L’Algérie, à horizon 2020, doit avoir réussi à atteindre un niveau sanitaire qui la positionne dans le top 5 du benchmark pour l’ensemble des indicateurs de référence de santé publique,

  • Eradiquer certaines pathologies infectieuses résurgentes que l’on peut suivre / contrôler (Maladies transmissibles hydriques, tuberculose, …)
    • Diviser par 2 les taux de mortalités infantile, maternelle et juvéno infantile
    • Viser un positionnement dans le top 5 du benchmark sur le reste des indicateurs de référence de santé publique (esperance de vie, densité medicale et infirmière)
    • Renforcer la part du PIB consacrée à la santé et atteindre les ratios du top 5 du benchmark (7% à 10%)

L’Algérie doit avoir comblé les failles actuelles dans l’organisation de son système de santé

  • Donner à tous les citoyens un accès équitable minimal à des soins de qualité  (publics ou privés),
  • Evaluer systématiquement et contrôler la qualité et la performance du système de santé,
  • Faire du patient et de ses accompagnants un acteur exigeant et reconnu de cette évaluation systématique de la qualité et des services rendus,
  • Revoir le mode de financement du secteur de la santé afin de réduire le reste à charge des ménages et le ramener à la moyenne des pays du benchmark, ou à un maximum de 20% du pouvoir d’achat d’un ménage dans les 5 ans  (et l’idéal serait de le limiter ensuite entre 10 à 15% d’ici 2025).

« Remettre chaque acteur à sa juste place » avec des règles du jeu transparentes et partagées et des engagements réciproques entre les opérateurs de santé publics ou privés et l’Etat

  • Responsabiliser l’Etat et les tutelles sur un rôle de régulation du système de santé : définition des standards, réalisation des évaluation et des contrôles avec l’appui d’agences indépendantes reconnues au niveau international
  • Donner une place officialisée et encadrée aux opérateurs privés (à but lucratif) disposant d’une vraie place reconnue et contractualisée (notamment avec l’Assurance Maladie), contrôlée et donc insérée dans les options courantes de services de santé pour les citoyens. Cela permet de réaffirmer les missions et les valeurs du secteur public et du privé et d’oragniser la complémentarité entre les deux secteurs. Les opérateurs publics seraient focalisés sur les priorités de santé publique et assurant aussi un accès aux soins pour tous de qualité
  • Permettre le développement d’un « troisième secteur », composé d’operateurs privés « à but non lucratif » (fondations, associations) qui acceptent de prendre en charge des missions de santé publique (et bénéficient en conséquence de financements publics directs).

Sur les industries du  médicament et autres produits  à usage médical à horizon2020:

  • Atteindre 70% de production locale sur les génériques (dont 2/3 de produits d’origine chimique pour au moins 1/3 de produits biosimilaires) et rééquilibrer le ratio de couveture volumes/valeur de la production locale pour viser au moins 50% en ratio de couverture en valeur .
  • Atteindre 30% en produits de spécialité dont idéalement 50% de produits d’origine chimique et 50% de produits biotechnologiques incluant les produits injectables, stériles, hormones, produits de biotechnologiques, matériel médical. Intégrer pour cela dans les choix stratégiques d’investissement d’outils de production plus coûteux, un mode de financement de cette facture en faveur des produits issus de biotechnologies ou à forte valeur technologique ajoutée.
  • Réduire significativement le niveau des ruptures et améliorer les prestations  de services  de santé associés au bénéfice des patients.
  • Veiller à renforcer le cadre juridique, légal, financier, fiscal et en ressource humaine pour ainsi stabiliser et consolider ce secteur encore fragile.
  • Anticiper et adapter les conséquences de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC pour ce secteur de santé encore peu  concurrentiel à l’échelle internationale : préparer les impacts locaux sur les droits de Propriété industrielle, intellectuelle et la protection des data mais aussi les priorités et politiques de santé publique dans le cadre des ADPICS plus dont l’accès aux médicaments et aux technologies médicales innovants (productions locales ou importations dites parallèles, exportations, …).

Nota Bene :

Le présent rapport n’a pas pour vocation de traiter de façon exhaustive toutes les problématiques qui impactent le système de santé algérien, mais bien de se focaliser sur les leviers prioritaires, qui permettront d’enclencher de véritables ruptures à moyen terme.

Nous identifions en parallèle de ces ruptures 3 thématiques importantes mais non approfondies par NABNI dans ce rapport. Ces trois thématiques sont des corolaires d’une transformation réussie du système de santé :

 1.     Industries de santé :

Les industries de santé (notamment privées) se développent fortement (unités de production pharmaceutique ou de consommables, centres de radio-diagnostic, de dialyse, d’examens bio-médicaux, structures hospitalières ou cliniques). Cependant, l’absence de plan ou de stratégie d’ensemble de ce secteur conduit à une concentration  des activités et un déséquilibre géographique. Il est urgent d’apporter également une cohérence et une prospective dans le développement de ce secteur essentiellement privé pour qu’il réponde de façon plus complémentaire aux nouveaux besoins de santé.

Parmi les mesures à instruire : continuer à soutenir une production de masse de génériques mais aussi augmenter les productions plus techniques sur les formes injectables, les produits stériles, les bio-médicaments, les consommables et le matériel médical ; créer plus de valeur ajoutée dans le secteur (amorcer une activité reconnue de Recherche et développement, le développement des offres de services aux professionnels de santé et aux malades). Les centres d’analyses biomédicales et de radiologie doivent également se diversifier géographiquement et dans l’offre, se démocratiser pour favoriser l’accès aux malades.

 2.     Formation des professionnels de santé et gestionnaires de santé:

Parmi les sujets qui nous paraissent prioritaires à instruire :

  • Sur le volet formation continue des professionnels : 1/ mettre en place un programme ambitieux et ciblé de formation  pour la remise à niveau des équipes paramédicales et des cadres de santé sur lesquels repose le bon fonctionnement opérationnel des services (sous l’autorité des médecins), 2/ former les gestionnaires au pilotage de la performance et au dialogue avec les médecins (« pour davantage médicaliser le discours administratif »)
  • Actualiser les filières de la santé (bio-médicales), technologiques, scientifiques et de management pour les adapter aux nouvelles demandes du marché du travail de la santé : ingénieurs, pharmaciens et techniciens industriels, acheteurs/négociateurs, planificateurs et suppliers, contrôleurs de gestion, managers en communication et SI de santé, experts en pharmaco-économie, pharmaco-vigilance, inspecteurs.
  • Mettre en place des expertises universitaires en fonction des futurs pôles de développement industriels et médicaux  et bâtir un noyau local de chercheurs  avec une source de financement à la fois publique et privée.

 3.     Financement du système de santé

Les modalités de financement du secteur de la santé (notamment par le budget de l’Etat ou la Sécurité sociale) ne sont pas abordées dans ce rapport. Un chantier traite néanmoins de la nécessaire réduction de la part des dépenses de santé qui reviennent aux ménages et du nécessaire rééquilibrage du financement du secteur de la santé entre Assurance Maladie, mutuelles et budget de l’Etat.

Les leviers de rupture

« Des Algériens maintenus en bonne santé, grâce à des soins de qualité accessibles à tous et à un système de santé moderne et performant »

L’amélioration significative du système de santé fait face à plusieurs enjeux. Tout d’abord, il est nécessaire de se donner les moyens de piloter la mise en œuvre effective des décisions prises et d’en mesurer l’efficacité. Ensuite, il s’agit de combler en urgence les failles actuelles dans l’organisation du système de santé pour permettre un accès équitable au soin. Enfin, le dernier enjeu consiste à mettre en place une gouvernance rénovée permettant de « remettre chaque acteur à sa juste place (régulateur, tutelle, opérateur public ou privé, …) » avec des règles du jeu transparentes et partagées.

Premier Levier : Mettre le pilotage par la qualité et la performance au cœur de la politique de santé publique

Le premier levier consiste à se doter d’outils et de règles et de les mettre en œuvre pour s’assurer que les stratégies et les moyens sont déployés à bon escient et avec des résultats concrets pour les patients et leurs accompagnants. C’est à cet impératif de meilleur pilotage du système de santé que répondent les premiers chantiers.

Deuxième Levier : Permettre un accès équitable à des soins sécurisés et de qualité

Il s’avère que les Algériens n’ont pas un accès équitable à des soins de qualité. Pour combler en priorité les lacunes majeures du système de santé, trois chantiers prioritaires ont été identifiés : en finir avec les ruptures de médicaments, amener effectivement le soin au plus près du patient, et réduire significativement la part de la dépense de santé pour les ménages.

Troisième Levier : Construire la complémentarité entre les secteurs public et privé au bénéfice du patient pour lui offrir une gamme de soins et services plus étendue et pour renforcer les missions respectives des deux secteurs

Le troisième levier s’attache à reconnaître et à concrétiser le fait que les secteurs public et privé doivent être complémentaires pour le bénéfice du patient. Il est nécessaire de donner une place encadrée et équilibrée au privé lucratif, tout en régulant ses missions. Deux bénéfices attendus à cela : d’une part faciliter l’accès des Algériens au secteur privé, et d’autre part clarifier les missions respectives du public et du privé au sein du système de santé.

Ce levier s’articule autour de deux dimensions fondamentales.

 

En conclusion, les leviers de rupture que nous avons choisis doivent permettre de transformer les plans d’actions et dispositifs déjà validés par l’Etat pour améliorer concrètement l’état de santé des Algériens. Cela grâce à des soins de qualité accessibles à tous et à un système de santé modernisé et performant.

Les systèmes de santé modernes fondent de plus en plus leur efficience sur une ambition : maintenir les citoyens en bonne santé. Si cette ambition peut apparaître comme un idéal à atteindre, ces systèmes de santé s’efforcent de combiner qualité de l’offre de santé, efficience et innovation. Cela passe à la fois par des prises en charge alternatives à l’hospitalisation conventionnelle, combinées à des programmes d’éducation thérapeutique et de prévention, qui dépassent le simple cadre de la santé et touchent par exemple l’Education, le Travail ou encore les Transports (pour la prévention des accidents de la route).

Pour autant, ces améliorations concrètes ne seront pérennes que si on renforce les coopérations inter-sectorielles au niveau de l’Etat (Agriculture et Eau, Transport, Education et Sport,  protection civile & sécurité sanitaire, …). Ces dernières se traduisent par exemple sur un engagement officiel pour généraliser l’eau courante potable, ou encore lutter contre les accidents de la route. A long terme, la place et les moyens alloués à la prévention et l’éducation sanitaire et thérapeutique doivent être renforcés (tabac, drogues et alcoolisme, obésité, …) et s’accompagner de prises en charges innovantes, qui ne seraient plus centrées sur les soins et l’hospitalisation.

De plus, les ruptures proposées ne pourront pas aboutir sans que soient abordées trois problématiques qui demeurent incontournables pour moderniser le système de santé et le rendre plus performant et pérenne : le financement du système de santé, la formation initiale et continue (remise à niveau) des professionnels de santé (médecins, soignants et gestionnaires) et enfin le développement stratégique des industries de santé.

En définitive et pour conclure, la vision et les ruptures de santé que nous proposons reposent sur la conviction que le service public de santé peut et doit viser l’excellence (en étant soumis à une obligation de résultats et non plus seulement de moyens).

Pour cela, il s’agit d’une part de positionner chaque acteur du système de santé « à sa juste place », et sur des missions sur lesquelles il a la plus forte valeur ajoutée.

Il s’agit d’autre part de responsabiliser chaque acteur de la chaîne de soins pour qu’il s’engage sur des standards de qualité et de performance, en transparence et en toute exemplarité..